Interview : Susie Morgenstern se lâche !
Née aux États-Unis en 1945, Susie Morgenstern est une autrice de livres pour la jeunesse parmi les plus connues en France. Elle a publié plus de 70 livres, principalement à l’École des Loisirs, récompensés par de grands prix et traduits en vingt langues. Parmi ses best-sellers : La sixième, Joker et Lettres d’amour de 0 à 10. Elle vit à Nice. Découvrez-en plus à son sujet dans cette interview. Découvrez-en plus au sujet de Susie Morgenstern dans cette interview !
Qu'est-ce qui vous a motivée à écrire pour les adultes cette fois-ci ?
Je pense que c’est à cause du sexe ! J’avais envie d’écrire un livre sulfureux ! Je n’allais pas l’écrire pour les enfants, n’est-ce pas ? À 80 ans, j’avais envie de me lâcher. Il y a une certaine liberté dans la vieillesse. Un collègue à l’université m’a demandé : « Quand vas-tu écrire un vrai livre ? » J’ai relevé le défi, même si je considère mes livres de jeunesse comme de vrais livres véritables. Je ne vois pas mon entrée dans les romans adultes comme un progrès. J’aime trop mes lecteurs enfants. C’est le thème et les personnages qui déterminent pour qui on écrit. Les adultes peuvent lire et se divertir avec mes romans pour les enfants et les adolescents. Le contraire n’est pas vrai.
Comment est née Sadie dans votre esprit ?
Elle est née avec moi ! Une Amerloque qui vient en France. Une femme qui s’est battue toute sa vie contre son poids. Et puis je suis moi-même allée à Brides-les-Bains. J’y étais heureuse dans ce village où tout le monde est gros. J’étais bien à ma place. Et j’ai perdu sept kilos en trois semaines. Sept kilos que j’ai repris en une semaine ! J’ai tout suite appelé mon alter ego Sadie, prénom vieillot qui est difficile en français, prononcé Sédie. J’aimerais que Brides-les-Bains lise ce livre et m’offre un séjour ! Comme quand j’ai écrit un livre intitulé Calisson et le fabricant Le Roi René m’a envoyé une grande boîte de calissons.
Pourquoi raconter l'histoire d'une Américaine qui va en France pour manger du céleri plutôt que du foie gras ?
Je reviens de la foire de Brive où j’ai mangé beaucoup de foie gras ! Oh que c’est bon ! (Interdit aux USA !) À Brides-les-Bains les repas sont délicieux, avec du céleri et des radis et sans culpabilité. Je sais que moins peut être plus. L’histoire des festins et puis la famine est l’histoire de ma vie. Ce n’est pas une mauvaise idée de venir en France pour faire un régime, parce qu’ici au moins les portions microscopiques sont un plaisir sensuel. Apprendre à manger autrement n’a jamais marché pour moi. J’espère que Sadie va réussir.
Le roman mêle l'humour à de nombreuses citations de poèmes. Quel rôle joue la poésie dans votre processus d’écriture ?
J’écris deux poèmes tous les matins et je lis de la poésie. C’est mon temps de méditation. Ça nous ralentit. Je savoure les mots (mais pas autant que le chocolat). Un poème a une magie. Les écrire me donne l’impression d’un pouvoir magique. Mes deux poèmes sont mon échauffement, ma musculation. Les insérer dans mes livres, qu’ils soient de moi ou des autres, est ma façon de partager ce que j’aime, prêcher la poésie.
À vous lire, on a le sentiment que vous vous amusez énormément en vous écrivant. Est-ce le cas ?
Je m’amuse beaucoup ! Je ris, je souris et je prie pour que mes lecteurs fassent la fête autant que moi. Je ne conçois pas d’écrire sans humour, même sachant que c’est mal vu en France. (On n’a jamais eu un prix Goncourt hilarant.) Oui, je m’amuse, mais pas toujours. Des fois ça coince ! Écrire c’est comme la vie, avec ses hauts et ses bas. Et puis les nuits, je tourne et je me retourne à essayer d’extraire assez d’idées pour le lendemain.
Le mot de la fin : quelle est la plus belle chose de France aux yeux de Sadie (à part la Sécurité sociale) ?
Cette sensation de liberté !
Découvrez un extrait de son roman !
« Je sais donc combien les Français me jugent. Les Français en un coup d’œil se disent : « Voilà ! Une Amerloque ! Une princesse pourrie gâtée ! » Et ils pensent savoir tout sur combien nous sommes choyés et riches et combien nous sommes vulgaires, un livre ouvert.
Ils sont bien placés pour savoir combien nous sommes gâtés, eux, avec leur semaine à 35 heures, avec leur SMIC extravagant, avec leurs vacances de cinq semaines, avec leur couverture sociale, avec leur retraite à 62 ans, avec leurs médicaments remboursés, avec leur nourriture exquise et leur vin, tout ça comme un droit divin. […] Ils ont ce que nous n’avons pas : une certaine qualité de vie. Ils ont aussi une culture, ils lisent encore des livres, ils fêtent les écrivains. Et plus que tout, ils ont du pain. En anglais, « pain », ça veut dire la douleur. »