Interview : Carole Declercq, une auteure passionnée d’Histoire !
Agrégée de lettres et de langues anciennes, Carole Declercq enseigne le Français dans en région Auvergne-Rhône-Alpes. Passionnée d’histoire, elle a longuement hésité entre des études de lettre et d’histoire. Avec cette saga, elle concilie ses deux passions. Découvrez-en plus au sujet Carole Declercq dans cette interview !
Pouvez-vous présenter La saga des désobéissantes en quelques mots ?
Tout est dans le titre. C’est d’abord une grande fresque historique qui court de l’été 1938 aux années laborieuses du redressement dans une France et une Allemagne dévastées où il faut faire le deuil de ses disparus, tenter de se refaire une place dans une société bouleversée économiquement mais aussi idéologiquement. J’aime bien l’image de la symphonie pour en parler. Qui dit fresque dit multiplication des personnages, rebondissements, foisonnement de récits annexes, variation des points de vue narratifs. J’ai tout de même pris soin de délimiter, en plus du temps, l’espace. Dans le premier tome, on se promène, pour l’essentiel, de Paris à Berlin. Quant à mes désobéissantes, ce sont des jeunes filles à l’aube de leur vie de femme. Elles vont faire leur apprentissage dans le contexte particulier de la Seconde guerre mondiale. C’est résolument une saga de destins féminins et une histoire d’émancipation dans un monde dominé par les hommes.
Pourquoi avoir placé le début de cette saga durant l’été 1938 ?
Quel terrain de jeu pour mes petits personnages ! Imaginez l’Europe d’alors : c’est un jeu de cartes qui a été rebattu par la Grande Guerre. Ses frontières sont artificielles. Elles ne peuvent que craquer même si l’on s’amuse à signer des accords bilatéraux à droite et à gauche et à sourire de toutes ses dents en prétendant vouloir préserver la paix.
L’été 1938, c’est clairement le moment où tout aurait pu basculer dans le bon sens si les puissances occidentales du moment, notamment la France et l’Angleterre, avaient donné du poing avec fermeté. Car à l’époque, on connaît déjà bien la façon de faire de Hitler, sa « tactique ». Agiter en sous-main le pays convoité puis prétendre voler à son secours. Elle a été démontée avec lucidité dans ses Souvenirs par André François-Poncet, l’ambassadeur de France à Berlin de 1931 à 1938.
Pour la Tchécoslovaquie avec qui elle a signé un traité d’assistance en cas de conflit, la France veut se montrer plus ferme quand l’Angleterre hurle à la paix à tout prix. Mais qui voudrait de la guerre ? L’été 1938, c’est donc aussi l’été des ballets diplomatiques, des consultations de couloir, des dîners mondains pour le résultat déshonorant que l’on sait : les Accords de Munich.
Parlez-nous des deux héroïnes :
Même si d’autres personnages féminins vont prendre de l’importance et de l’ampleur au fur et à mesure qu’ils s’agrègeront à l’histoire, mes « désobéissantes », celles qui ouvrent le bal dans le tome 1, s’appellent Pauline et Nathalie. Elles sont amies. Très différentes l’une de l’autre, elles sont cependant complices. Elles se comprennent à demi-mot. La première est fille de diplomate. Son père, Victor Kermadec, est le conseiller aux affaires allemandes de Daladier. Aussi fait-elle partie de ses bagages quand il doit, sur ordre du Président du Conseil, prendre la direction de Berlin pour participer aux négociations qui tournent autour de l’affaire des Sudètes. Une fois en Allemagne, elle pose un regard affuté et curieux sur ce qui l’entoure. Pauline est une cérébrale très imaginative. Elle rêve d’aventure, de rencontres un peu folles. Elle veut qu’il lui arrive quelque chose. Et ce quelque chose va prendre l’apparence d’un Allemand, un jeune éditeur aux idées libérales qui doit se colleter avec les difficultés imposées par la censure et la propagande d’état dans son pays. Les circonstances imposent à Nathalie de Tresnel d’être davantage terre à terre. Ses parents sont des nobliaux désargentés et extravagants. Son père se prétend négociant en art et fait des investissements hasardeux. Dans la famille, Nathalie est bien la seule à avoir la tête sur les épaules et à vouloir rectifier le tir, quitte à affronter les personnes un peu inquiétantes que fréquente son père, comme le marchand d’art Gabriel Cléoménidès.
Est-il difficile de faire vivre dans une fiction des grands personnages de l’Histoire à côté des personnages fictifs ?
Il ne faut pas leur donner plus d’importance qu’en ont les personnages de fiction. C’est la règle. De tout ce que vous lisez -et l’écriture d’une saga historique représente des centaines d’heures de lecture d’ouvrages historiques, de visionnage de documents-, vous ne retenez qu’environ 10%. Et ces 10%, il faut les intégrer à la narration, les rendre crédibles, ne pas craindre de leur donner la couleur de l’imaginaire. C’est comme un documentaire en noir et blanc que vous colorisez. Un Goebbels, un Goering, un Daladier ou un Otto Abetz sont des acteurs de l’Histoire mais Pauline, Nathalie, Hans, Charles, Gabriel, Adeline, Bertrand etc. sont les acteurs de mon histoire. Ils sont prioritaires. Donc, pas de quartier ! Il faut trancher et c’est, vous le devinez, extrêmement frustrant mais une saga n’est pas un livre d’histoire. C’est une histoire dans l’Histoire. Le plaisir de lire, la fluidité de la narration ne doivent pas être sacrifiés au nom de l’exhaustivité universitaire. A chacun son métier.